Dans les années 88-89, les aounites et les ouattjieh s’entretuaient dans la guerre d’anhilition, ou harb el ilgha…mes parents ont prix la décision de nous emmener vivre au village de mes grands-parents à Bhanine, dans le sud du Liban. La région était sous l’emprise de l’armée israélienne qui contrôlait une partie de l’armée libanaise ou le Lahed. La région était relativement calme, par rapport à ce qui se passait à Beyrouth. Mes parents ont choisi le meilleur des 2 pires. J’étais au début de ma crise d’adolescence, et j’étais déjà insupportable, remettant en cause le tout de rien. Nous avions passé plusieurs mois dans la petite maison de mes grands-parents, avec la famille de mon oncle paternel Maroun (4 personnes) et la famille de mon autre oncle paternel Jamil (6 personnes). Les femmes qui tenaient ce fort étaient ma mère Sonia et les 2 épouses respectives de mes oncles, Antoinette et Jacqueline. Sonia avait mon frère Alain de 2 ans dans les bras, en plus de 3 pré-ados/ados, Antoinette en avait 2 ados, Jacqueline en avait 2 jumelles de 2 ans, et 2 pré-ados/ados. Pas de travail, peu d’argent, les hommes passaient la journée à travailler la terre pour recueillir tout fruit et légume pour nourrir les troupes. Les femmes faisaient le pain à la main, le markouk (pas de machine de pain dans le temps), faisaient le lavage à la main, bouillaient l’eau pour nos bains dans un grand chaudron au feu de bois dehors, et transportaient l’eau dans la salle de bain. Elles avaient trouvé des lapins qu’elles ont gardés, les lapins se sont multipliés, elles les tuaient (désolée pour les âmes sensibles), les cuisinaient et nous faisaient croire que c’était du poulet. Elles ramenaient des patates et nous faisaient des frites (faciles et peu coûteuses). Elles s’occupaient aussi de maris grincheux, qui revenaient des champs épuisés et tout sales, des enfants insolents qui n’avaient conscience de rien que des hormones qui se multipliaient et qui prenaient toute la place, et une responsabilité de nous éduquer, de nous nourrir, de nous garder en sécurité, du mieux qu’elles pouvaient. Ma mère Sonia, Jacqueline, Antoinette, et toutes les mères de cette génération, je vous salue. Je vous souhaite bonne fête des mères (c’est la fête des mamans au Liban). Vous avez été un exemple de sacrifice, de don à l’autre et d’oubli de soi, de bonté, d’autorité, de créativité dans des périodes si sombres. Depuis que je suis mère, déjà 16 ans, et que je me heurte à un mur, à un défi, à une difficulté, à une montagne, je me dis: mais comment elle a fait? Comment elle nous a aimé autant à travers cette noirceur de la vie? Que n’a-t-elle pas fait, donné, été, pour que je puisse être ce que je suis? Pour que je puisse être, tout court?
J’écris ces mots et je pleure en pensant à toi…je te souhaite longue vie, bonne santé, des occasions de rire à n’en plus finir Sonia Iskandar Karam يا امي يا ملاكي ❤️